Le handicap, une douloureuse richesse (la résilience)
mardi 26 février 2008

Article de notre magazine Faire Face, février 2008.

Le handicap, une douloureuse richesse

Se relever après un accident, renaître à la vie avec d’autres repères, c’est dans un esprit que s’inscrit le phénomène de résilience, un concept largement médiatisé par les ouvrages du neuropsychiatre Boris Cyrulnik. La résilience, une pulsion de vie pour laquelle l’entourage joue un grand rôle.

« Que vas-tu devenir « ? »

Souffle dans un sanglot la mère de Laetitia à sa fille de 28 ans qui émerge à peine d’un accident de randonnée amputée des deux pieds. Pour sa mère, la vie de sa fille est « foutue ». Mais pas pour la jeune femme ! En effet, en quelques années, celle-ci va reprendre sa vie en main, se passionner pour la course de fond grâce à ses nouvelles prothèses et entamer des études qui la mèneront vers un métier d’aide…
Cette capacité à surmonter les traumatismes s’appelle la « résilience ». Le terme, emprunté à la physique, désigne le retour à l’état initial d’un élément déformé. Cette extraordinaire pulsion de vie, médiatisée par le neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik, se révèle chez certaines personnes qui ont subi un traumatisme psychique et/ou physique : accident de la circulation ou thérapeutique, maladie agression… Valides ou handicapés, conscients de leurs incapacités et de leurs séquelles, les résilients mobilisent leurs ressources internes et se reconstruisent, plus forts, capables d’aimer, de travailler et de fonder une famille.
Évidemment, pas de miracle. Ce parcours de résilience s’inscrit dans une longue durée, souvent celle de toute une vie, jalonnée de défis que tout être humain ne relève pas.

Une part d’identité

Parmi les étapes à franchir, deux s’avèrent essentielles. Première d’entre elles : la délivrance. Dans le cadre d’un soutien thérapeutique, elle consiste à raconter son drame en libérant les sentiments qui y sont attachés. Ainsi, d’intenses réactions émotives peuvent exploser : pleurs, désespoir, colère, rage, régressions, rejet… Selon Boris Cyrulnik, cette décharge permet de devenir actifs et de reprendre sa place dans l’expérience traumatique, puis, plus tard au centre de sa vie. En affirmant « je suis celle qui a vécu cette expérience », la personne transforme ce dont elle à été victime en une caractéristique de son identité, une sorte de « douloureuse richesse ».
Plus tard, la deuxième étape fondamentale consiste, après une expérience de profonde impuissance, à récupérer son pouvoir et à en assumer les responsabilités.
Ainsi, Nicolas d’Arbigny, victime d’un accident de la route en 1982 qui le laisse tétraplégique à 22 ans, choisit de se battre pour obtenir justice et indemnisation : « Avec mon avocat j’ai porté le procès contre l’assurance du fautif pendant cinq ans. Lorsque j’ai obtenu une indemnisation financière satisfaisante. J’ai ressenti de l’estime pour moi-même. Par la suite, j’ai mis mon expérience au service des autres en collaborant auprès d’un architecte spécialisé dans la construction accessible, ou lorsque j’ai Co -fondé l’association Divac pour aiguiller les personnes accidentés. J’ai retrouvée de l’amour propre. »

Résilience familiale

Si la personne blessée traverse des épreuves, sa famille et son entourage n’en subissent pas moins que les conséquences. Lors de la survenue brutale d’une déficience de leur enfant, les proches vivent différentes phases qui rappellent le travail en deuil : Choc, déni, colère et recherche de responsables, résignation et dépression, acceptation et recherche d’un nouveau mode de vie. On parle alors de « résilience familiale » ; mais il arrive parfois, et plus souvent qu’on ne le croit, que la famille refuse la réalité ; Ainsi, les parents de Laetitia refusaient-ils de la recevoir en fauteuil roulant, tandis que ceux de Nicolas d’Arbigny ne l’ont pas hébergé au sortir du centre de rééducation. Pour tous deux, c’est un membre éloigné de la famille qui jouera le rôle de repère. Pour d’autres, ce sera un ami ou un professionnel de confiance. Ces « tuteurs de résilience », comme les appelles Boris Cyrulnik, ont l’intelligence du cœur et accompagner la personne sans tenter ni de la sauver, ni d’interférer dans ses choix de vie. « Imposer une aide non souhaitée maintient la personne dans le rôle de victime », écrit le neuropsychiatre. « C’est au contraire des espaces de créativité dont elle a besoin, des occasions de relever des défis à sa mesure et, en même temps, de regagner sa fierté. Il faut beaucoup de lucidité sur nos motifs, nous accompagnant, pour que notre intervention ne devienne pas une prison ». Rendre la personne consciente de ses capacités, voilà bien la réelle position résiliente.